Facebook Twitter Google plus

N° 18

Repères

Lucien Suel

 

http://www.lhebdoculture.com/images/lucien.png

 

   le monde est poème est monde,

  le poème est monde est poème 

 

Prélude

  

Vous êtes sur Twitter, vous aimez la poésie et vous voulez égayer votre TL de noms de poètes présents sur le réseau et dont vous connaissez plus ou moins les œuvres, un conseil, n’en faites rien, il y a de fortes chances que votre action following/follower hardie « restasse » lettre morte. Et là du reste, vous l’auriez cherché. Et l’on dira "bien fait pour votre tronche de journaliste à la con !"

 

Plus tard, sur le même réseau.

Lucien Suel, vous connaissez à peine de nom, pas la moindre idée de son parcours d’auteur, de son œuvre, mais vous décidez de le suivre quand même, pour voir… Et là le poète ordinaire – au sens étymologique du terme - non seulement il vous le rendra bien, mais il vous le rendra mieux, avec l’amabilité d’usage.

 

Et puis c’est le Silo-Académie 23 (son blog sur le net) par la suite, ses parutions en revue et ses lectures-performances autour de Je suis debout, son anthologie parue en 2014 aux éditions La Table Ronde.

 

 

Maquis

 

Noir et noire. La gueule et le savon.

 

Rouge et rouge. Betterave rouge plate d’Egypte. Forragère de l’ami Bidasse natif d’Arras.

 

Rouge et rouge. Mouron du champ d’honneur. Couple de cerises à l’oreille.

 

Verte et verte. La main dans le jardin ouvrier. Lignes de poids de sucre. Salades de blé éparpillées. Vrille de liseron autour du grillage.

 

Bleu et bleu. Travail et gendarmes.

 

.

 

Noire et rouge. La tôle goudronnée et le mur de briques cramoisies.

 

Noir et rouge. Sillon du marais pourri. Sacré-Coeur sous un globe de verre.

 

Noir et rouge. Corbeau croassant au-dessus du terrain vague. Soleil boule enflammée sur la mer.

 

Rouge et noir. Calicot et drapeau des syndicats. Bannière de la procession funêbre.

 

Rouge et rouge rouge rouge. Coulée de métal au bas du four jaillissant du ventre crevé du sombre haut-fourneau.

 

Rouge rouge noir noir.

 

………  (Mon stylo 4 couleurs du Pas-de-Calais)

 

 

Avec ce texte au titre combien évocateur pour le poète, clin d’œil ou pas à Rimbaud, à Cendrars, le ton est donné dans toutes ses variantes quant aux véritables intentions de l’auteur, le lecteur lui, n’a qu’à bien se tenir.

Et c’est une palette de textes composant le recueil, lesquels usant de tous les ingrédients, de toutes les formes, fussent-elles les plus traditionnelles, de toutes les influences, de toutes les moutures… pourvu que devienne le poème :

 

Je capte les pensées fugitives, la prose bob spontanée, le cut-up des langues, sans hiérarchie, ni sélection. Rien que la vie brute.

 

Illustration, avec ce somptueux sonnet, tout en alexandrins : 
 
Mark franc livre dinar, zloty dirham euro, 
Sol dong, lire yen, roupie, peseta won dollar, 
Shilling rand, rial lev, taka birr bolivar, 
Rouble austral, birr dinar, couronne & cruzeiro. 
 
Florin franc, lev shilling, taka yen cruzeiro, 
Dong dirham peseta, lire austral bolivar, 
Roupie, Zloty franc marc, livre yen euro dollar, 
Écu shilling, rial, won, couronne & peso. 
 
Pèze fric, pognon fric, pèze fric, fric & fric. 
Monnaie sou picaillon or fric oseille & brique. 
Argent bronze or fric fric thune argent flouze & blé. 
 
Franc fric dollar pognon, livre unité thune & or. 
Bronze oseille argent fric, florin sou pèze & blé. 
Or monnaie cruzeiro, peso, couronne & or.
     (Écus)  

 

 

Et puis des vers justifiés, des calligrammes façon Apollinaire, des bestiaires, des haïkus, des cut-up… tout aussi sublimes.

 

À noter à propos de cut-up (technique empruntée à la Beat Generation des Jack Kerouac - traduit par l’auteur - Allen Gainsberg et William Burroughs), la proximité du poète avec ce mouvement contestataire et anticonformiste né aux Etats Unis dans les années 60 ; proximité sans plus.

Idem pour les autres mouvements, Dada, punk... le poète tenant plus que tout à sa liberté.

 

À tous ces motifs ludiques de résistance et d’émerveillement, ne pas oublier d’adjoindre ici les autres formes d’écriture, par internet, la twittérature… par le jardinage, cher à l’auteur, et même par la maçonnerie, le poète ayant construit sa maison de ses propres mains.

En somme, une œuvre qui ne se prive de rien s’agissant de "tracer le temps et l’espace", une œuvre qui s’autorise tout sans jamais se prendre trop la tête.

 

 

Apostilles

 

Vous êtes donc sur Twitter, votre TL, vous ne la regardez même pas, cette sacrée chute finale à trouver vous obsède, vous vous demandez : le poète ici, trouve-t-il jamais le temps pour se prendre au sérieux ?

Et d’y répondre du coup, à sa place : non, pour quoi faire ?   

  

Aziz Zaâmoune